Montréal, le 15 novembre 1998

Dimanche soir, et déjà une semaine que je vis en Linux. En mon âme et conscience, je peux commencer à répondre à cette grande question existentielle qui vous hante: alors, Linux, est-ce un système d'exploitation qui pourrait supplanter le MacOS ou Windows? Surtout, peut-il être mis entre toutes les mains?

Linux, supplanter les autres systèmes d'exploitation? NON. Marcher en parallèle avec eux? Tout à fait. Soyons clair. Linux n'est plus une "bébelle de hackers", c'est aujourd'hui, dans sa version 2.xx, un excellent système d'exploitation qui peut rivaliser sans honte avec les Windows 9x/NT et les MacOS. Une excellente alternative, même, pour qui recherche un système d'exploitation multi-tâche et multi-utilisateurs mature. Les utilisateurs et surtout les entreprises le regardant de haut feraient bien de revoir rapidement leurs positions car Linux est là pour rester.

On sait notamment que la combinaison Linux et Apache, le serveur W3, est une solution des plus efficaces pour qui veut mettre en ligne du sur Internet. Et cette combinaison pourrait en n'importe quel temps rivaliser avec les solutions Microsoft, Apple et Sun. Quand au prix, n'en parlons même pas. Ce n'est pas pour rien que Linux est aujourd'hui le troisième système d'exploitation en importance, derrière MacOS et les multiples déclinaisons de Windows. Oui, la base d'utilisateurs de Linux est plus importante que TOUS les autres Unix réunis ensemble. Pas mal, non, pour un "OS" dit de hackers?

Un petit quelque chose...

Comme serveur et sur Internet, d'accord. Mais comme ordinateur de bureau, ou encore à la maison, qu'en est-il? À mon grand regret, je dois vous avouer que Linux, sans une solide préparation, n'est pas encore prêt à faire son entrée dans nos salons.

Pourtant, il s'en faut de peu pour que je réponde par un oui colossal. Le système d'exploitation, on le sait, est d'une stabilité à toute épreuve. Les interfaces graphiques comme KDE ou Gnome, ça s'en vient. Quelques mois de développement encore, et l'amalgame entre les deux sera réussi.

Les applications? Si on parle d'applications bureautiques, ApplixWare est encore loin de MSOffice, mais StarOffice lui, est un solide concurrent à la suite à succès de Micromou. WordPerfect 8? Un killer-app que le monde Linux attendait avec beaucoup d'impatience. Et les amis de Corel nous annoncent pour 1999 la suite WP au complet. Les jeux? Ouf, ce n'est pas demain la veille que l'on arrivera au degré de raffinement de l'environnement Windows même si – et je vois déjà des petits rapides du clavier prêts à réagir promptement – vous me dites que Quake III pour Linux sortira en même temps que la version Windows.

Bref, avec Linux, on peut travailler, jouer, scanner une image, graver un CD, et faire à peu près tout ce qu'il est possible de faire sous environnement MacOS ou Windows. Pourtant, il manque encore quelque chose: la simplicité d'utilisation, un raffinement dans l'interface-utilisateur, un système d'installation de logiciels simplifié au maximum, une couche logicielle isolant encore plus l'usager du système d'opération, TOUT EN GARDANT les portes grandes ouvertes pour continuer à bidouiller dans le moteur. Voilà le paradoxe, isoler l'utilisateur moyen des opérations complexes de compilation de codes, tout en permettant à qui le souhaite de pouvoir apporter toutes les modifications possibles et impossibles à un logiciel grâce à la disponibilité du code-source.

Pour beaucoup de personnes, un ordinateur est et restera un simple outil. Prenons le cas typique du bricoleur du dimanche. Lorsqu'une réparation est nécessaire, il sort sa scie électrique, débite le bois dont il a besoin, fait sa petite réparation, et merci bonjour. Il ne veut pas savoir si sa lame de scie est vraiment la mieux adaptée, comment elle fonctionne, etc. Tout ce qu'il veut, c'est finir sa petite réparation et retourner au plus vite devant son match de football. Mais pour certains autres bricoleurs, amateurs ou professionnels, ces « petits détails » sont importants.

Les sytèmes d'exploitation Windows ou MacOS regorgent de fonctionnalités pratiques, mais ils ont comme inconvénients de nous isoler entièrement du fonctionnement intime de notre ordi. Pour certains, c'est parfait; pour d'autres, c'est un problème. Aussi, avec ces environnements, vous êtes soumis aux « bonnes volontés » des fabricants de logiciels, sans aucun accès au code source. On est loin de la philosophie du mouvement du logiciel à code source libre.

Le meilleur des (deux) mondes?

Bref, au bout d'une semaine (n'oubliez pas que je me dois de vivre deux mois exclusivement avec Linux), quelques petites choses ont changé et ma vision de l'informatique a évolué. Ce contrôle de la technologie, cet esprit communautaire, l'impression de revivre une révolution comme au glorieux temps de l'Apple II, alors que tout était à inventer... Linux m'a regroundé (pardonnez l'anglicisme) avec la technologie et les communautés virtuelles.

Pourtant, il est absolument sûr et certain qu'une machine Windows refera son apparition à la maison. Il n'y a pas que du mauvais dans les produits Microsoft, et je ne tiens surtout pas à embarquer dans ce mouvement qui « démonise » presque tonton Bill, d'autant que certains de ses produits sont vraiment fantastiques (Visual Studio 6.0 par exemple). Mais il ne fait pas non plus de doute que Linux ne sortira plus jamais de chez moi. On s'habitue vite à reprendre le contrôle de son ordi, à se réapproprier la technologie.

Cette expérience m'amène à une petite réflexion. Comme Linux, tous les systèmes d'exploitation devraient être disponibles avec leur code source: Windows, MacOS et les autres saveurs de Unix. Les éditeurs y gagneraient, les utilisateurs aussi. Ne pas avoir accès au code source de son système d'exploitation, c'est comme avoir une automobile avec un capot moteur scellé. Qui d'entre vous accepterait cela?

Michel Dumais    Reproduction autorisée à certaines conditions

PS: Je suis en train de m'organiser pour avoir, tel que promis, trois ordinateurs tests: une configuration modeste et même dépassée, une configuration normale, et une autre, de haut-de-gamme. N'hésitez pas à m'envoyer vos suggestions et à participer aux Forums Linux de Multimédium.

PPS: Je suis en train de rééssayer la version 1.3 Caldera Open Linux. Mmmmm, pas mauvais, pas mauvais du tout. La seconde impression est la meilleure, et quel monde de différence entre la version 1.2 et 1.3.

PPPS: Je rêve du jour où quelqu'un comprendra les besoins des utilisateurs et mettra sur le marché une suite comparable à ClarisWorks. Et je rève du jour où les utilisateurs comprendront qu'ils n'ont pas besoin de la « Ferrari avec un moteur de camion » que sont les suites de haut-de-gamme MS Office ou WP Suite.

PPPPS: hum, juste comme ça, pour le plaisir ;-D