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l n'a rien de concret à vendre, juste son image. Bob Young, patron de Red Hat, porte des chaussettes rouges et aime les montrer en soulevant le bas de son pantalon. Les chaussettes, «c'est pour me porter bonheur», dit-il. Et le chapeau de la même couleur dont l'entreprise tire son nom, c'est le couvre-chef favori de Marc Ewing, le cofondateur de l'entreprise. L'entreprise distribue depuis 1994 le système d'exploitation (1) Linux, concurrent direct du Windows de Microsoft. A la différence du groupe de Bill Gates et de la plupart des éditeurs de logiciels, Red Hat cultive un paradoxe très symbolique de l'économie de l'Internet aujourd'hui: elle ne possède pas le produit qu'elle vend, puisque Linux est l'œuvre collective de centaines de programmeurs bénévoles dans le monde, motivés par la gloire, ou la seule envie de concevoir un logiciel performant. Ainsi, Linux, créé en 1991 par le finlandais Linus Torvalds, est disponible gratuitement. Et surtout, ce logiciel, symbole de «l'économie du don» typique du Net, est libre de droits: tout un chacun peut le copier, le modifier. Voire le revendre, comme le fait Red Hat. Grâce à cette particularité, la firme n'emploie qu'un tiers de ses 200 employés à la technique. Contre plusieurs milliers de programmeurs chez Microsoft qui concoctent les versions successives de Windows, farouchement protégé par des batteries de brevets. Le modèle économique de Red Hat a séduit Intel, le numéro un du microprocesseur, et IBM, qui ont investi dans l'entreprise. Red Hat est en croissance exponentielle; elle a réalisé 7,2 millions de dollars de chiffre d'affaires lors de son premier semestre fiscal 1999, en hausse de 89 % par rapport à la même période de l'année précédente. Et, depuis son introduction en Bourse le 11 août, son action est devenue l'un des chouchous du Nasdaq, le marché américain des valeurs high-tech et étalon de la «nouvelle économie» dopée par les nouvelles technologies. Le logiciel, lui, connaît la même progression; en 1998, Linux occupait 17,2 % du marché des systèmes d'exploitation sur le secteur particulier des serveurs d'entreprise (ordinateurs centraux), contre 6,8 % en 1997. Interview de Bob Young, avec casquette rouge. Pourquoi les gens achèteraient votre logiciel alors qu'il est
disponible partout, et souvent gratuitement? C'est que nous faisons: nous testons les versions de Linux disponibles gratuitement, nous ajoutons quelques fonctions de notre cru, nous le mettons dans une boîte en carton avec les mots «Red Hat» écrits dessus. Et nous le distribuons pour construire une grande marque connue. Si nous avions dû créer Linux de toutes pièces, ce modèle ne fonctionnerait pas. Une marque ne suffit pas à gagner de l'argent. Et même lorsque vous
vendez un exemplaire de Linux, l'acheteur a le droit de le copier. Alors
comment faites-vous? Linux n'appartient à personne. Mais vous distribuez plus de la
moitié des exemplaires dans le monde. Ne serez-vous pas tenté de détourner
l'esprit de Linux en brevetant en partie le
logiciel? Pour se défendre des accusations de monopole proférées par le
gouvernement américain, Microsoft se sert du succès de Linux, en disant
«regardez, il y a de la concurrence». Qu'en pensez-vous? A l'inverse de Microsoft, vous n'avez aucun contrôle sur le produit
que vous vendez. Que feriez-vous si les programmeurs bénévoles de Linux
cessaient de travailler tous ensemble, et que Linux explose en 12 versions
différentes, incapables de communiquer entre elles? (1) Le système d'exploitation est le logiciel de base d'un ordinateur,
celui qui joue les «chefs d'orchestre», commande tous les autres
programmes. | ||
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