Roberto Di Cosmo, maître de conférences à l'École normale supérieure, est le
co-auteur du livre Le Hold-up
planétaire qui fustige les pratiques et la stratégie commerciale du groupe
Microsoft.
Une fois de plus, on a eu l'occasion de constater que le jugement
porté par Microsoft sur les logiciels libres en général et Linux en particulier,
dépend très fortement du public à qui il est destiné.
S'il s'agit du public français, Marc Chardon, nouveau PDG de Microsoft France,
nous avait fait part de ses conseils de prudence (sûrement désintéressés) vis-à-vis
de Linux dans une lettre
envoyée aux clients français de Microsoft. On pouvait y lire, parmi d'autres
aménités, que « L'utilisation du logiciel libre relève cependant d'un choix
philosophique plus qu'économique, et fait de la maîtrise du système d'exploitation une
affaire de spécialistes chevronnés. Il apparaît que Linux ne répond pas aujourd'hui
aux exigences de la plupart des entreprises, et encore moins du grand public. »
Le discours est différent lorsqu'il s'agit de plaider auprès du public contre
les accusations de monopole : l'existence même de Linux serait, dit-on, la preuve
que Microsoft n'a pas de monopole (article de News.com du 19/11/98).
Mais si le public se trouve être formé des décideurs de Microsoft, le
discours change radicalement : dans le Halloween document I, un mémo
interne de Microsoft reconnu authentique par l'entreprise, on peut lire ce passage bien
plus lumineux sur Linux et le logiciel libre (OSS= Open Source Software) :
« Linux is a real, credible OS + Development process. Trusted in
mission criticial environments. Linux has been deployed in mission critical, commercial
environments with an excellent pool of public testimonials [
] Linux outperforms many
other UNIX's in most major performance category (networking, disk I/O, process ctx switch,
etc.) [...] Linux's future strength against NT server (and other UNIXes) is fed by several
key factors: Linux uses commodity PC hardware and, due to OS modularity, can be run on
smaller systems than NT. Linux is frequently used for services such as DNS running on old
486's in back closets [...] Linux's (real and perceived) virtues over Windows NT include:
Customization [...] Availability/Reliability [...] Scaleability/Performance [...]
Interoperability [...] OSS poses a direct, short-term revenue and platform threat to
Microsoft, particularly in server space. Additionally, the intrinsic parallelism and free
idea exchange in OSS has benefits that are not replicable with our current licensing model
and therefore present a long term developer mindshare threat. »
Jusque-la, on pourrait se limiter a sourire des déboires d'une entreprise qui
voudrait parler de Linux quand cela lui convient mais qui ne voudrait pas que d'autres en
parlent quand cela la gêne.
« Si on enlevait tous les logiciels libres il n'y aurait simplement plus
de réseau »
En lisant ce même mémo on s'aperçoit aussi que cette entreprise a décidé
de s'attaquer a l'une des forces du logiciel libre : la « grande utilité des
protocoles de communications simples et facilement disponibles » (Halloween I). Et
cela parce que, selon les termes mêmes du document, « Linux can win as long as
services / protocols are commodities. » En effet, le logiciel libre est
tellement lié au fonctionnement du réseau que si l'on enlevait tous les logiciels libres
(comme Bind, Apache, Sendmail, Perl) et les standards ouverts (TCP/IP, SMTP, HTTP, NNTP
etc.), il n'y aurait simplement plus de réseau.
Donc, comme l'avance le Halloween mémo, il faut « pervertir » les
protocoles libres :
« OSS projects have been able to gain a foothold in many server
applications because of the wide utility of highly commoditized, simple protocols. By
extending these protocols and developing new protocols, we can deny OSS projects entry
into the market [...] The effect of patents and copyright in combatting Linux remains to
be investigated. »
Et pourtant, c'est grâce a cette libre disponibilité des protocoles de
communication simples et aux formats de fichiers ouverts et documentés que l'Internet a
connu son essor exceptionnel : ce qui est proposé dans ce document est donc une
attaque en règle contre les bases mêmes de l'Internet, contre l'intérêt de tous les
internautes, dans le seul et unique but de se libérer d'un compétiteur fastidieux. Si
besoin est, à coups de brevets et d'avocats.
Et dans une
réponse ouverte face à la publicité donnée à ce mémo, Microsoft essaye encore
une fois de nous faire croire que tout cela n'est fait que pour le bien du consommateur :
« Q: The first document talked about extending standard protocols as a
way to deny OSS projects entry into the market. What does this mean?
« A: To better serve customers, Microsoft needs to innovate above
standard protocols. By innovating above the base protocol, we are able to deliver advanced
functionality to users. An example of this is adding transactional support for DTC over
HTTP. This would be a value-add and would in no way break the standard or undermine the
concept of standards, of which Microsoft is a significant supporter. Yet it would allow us
to solve a class of problems in value chain integration for our Web-based customers that
are not solved by any public standard today. Microsoft recognizes that customers are not
served by implementations that are different without adding value; we therefore support
standards as the foundation on which further innovation can be based. »
S'il y avait encore des incrédules qui croyaient en la bonne fois de cette
entreprise, ces documents et les réactions officielles, tous de Microsoft, devraient a
mon humble avis suffire à les réveiller. Merci Microsoft, très sincèrement.
Roberto Di Cosmo
Lire aussi :
L'entretien à Libération d'Olivier Ezratty,
directeur marketing de Microsoft France, qui réagit à la lecture du livre Le Hold-up
planétaire.
Les documents Halloween
à l'origine de la polémique.
Et sur ZDNet :
Le dossier Linux
Microsoft sous la menace de Linux (actualité
du 11/11/98).
La lettre ouverte de Tim O'Reilly, président de la maison d'édition O'Reilly &
Associates (actualité
du 11/11/98).
Main basse sur Linux (actualité
du 28/09/98)