Paris, le /6/1999

Je viens d'apprendre que la France et l'Europe s'engagent dans un processus d'extension du droit des brevets à la protection des logiciels en tant que tels. Or, de nombreux dévelopeurs et éditeurs de logiciels en Europe se plaignent actuellement d'un usage abusif des brevets pour la protection des logiciels et d'un manque de sélectivité de l'Office Européen des Brevets dans l'attribution de ce titre, conduisant à des situations de blocage en nombre croissant. Ces situations sont susceptible de menacer l'équilibre économique de l'industrie européenne indépendante du logiciel, de menacer de nombreux emplois et de casser la dynamique constructive autour de Linux, des logiciels libres et de produits emblématiques européens tels que StarOffice, MySQL, SSH, etc.

Je suis donc surpris que l'on envisage une extension et non une restriction de l'usage du brevet dans l'industrie du logiciel. Mais, ce que je ne m'explique absolument pas, est l'insistance à vouloir faire évoluer l'article 52.2c de la convention de Munich sous prétexte que l'on ne pourrait déposer en Europe de brevets pour protéger des logiciels. Ceci est inexact. La jurisprudence de l'OEB, initialement raisonnable mais devenue progressivement laxiste, permet aujourd'hui de déposer un brevet pour protéger à peu près n'importe quel procédé informatique élémentaire. Le cas du dépot de brevet No 96305851.6 par IBM est tout à fait significatif de cette évolution excessive. Par ailleurs, si un logiciel en tant que tel ne peut être considéré comme une contrefaçon d'un procédé informatique breveté, les articles L.613-3 et L.613-4 du code de la propriété intellectuelle interdisent en France "l"utilisation par un tiers", "l'offre de son utilisation"et "la livraison ou l'offre de livraison (...) des moyens de mise en oeuvre" ce qui permet d'engager des poursuites contre les éditeurs de logiciel mettant en oeuvre sciemment un procédé breveté à travers un logiciel.

Aussi, je souhaiterais obtenir une réponse aux questions suivantes :

  1. Le gouvernement est-il conscient qu'il est inutile de supprimer dans l'article 52.2c l'exclusion des programmes d'ordinateurs pour pouvoir protéger efficacement les logiciels par des brevets ?
  2. La gouvernement a-t-il étudié l'impact économique d'une suppression dans l'article 52.2c de l'exclusion des programmes d'ordinateurs ou publié une étude détaillée sur le sujet ?
  3. Le gouvernement est-il conscient que la suppression dans l'article 52.2c de l'exclusion des programmes d'ordinateurs permettrait d'engager la responsabilité d'éditeurs qui agissent de bonne foi et créerait donc un climat d'incertitude juridique maximale ?
  4. Le gouvernement est-il conscient que la suppression dans l'article 52.2c de l'exclusion des programmes d'ordinateurs permettrait à terme de monopoliser une méthode de gestion d'entreprise ou de commerce électronique en brevetant le programme qui la met en oeuvre ?
  5. Le gouvernement a-t-il pris en compte les informations d'ordre économique ou industriel publiées sur http://www.freepatents.org ?
  6. Le gouvernement a-t-il pris conseil auprès d'éditeurs de logiciels véritablement européens tels que ceux cités sur le site http://www.europe-inside.com ?
  7. Le gouvernement a-t-il pris conseil auprès d'associations françaises ou européennes de promotion et de protection des logiciels libres ?
Je suis persuadé qu'une position visant à promouvoir une protection de presque tous les procédés informatiques et son extension à la protection des méthodes de gestion et de commerce n'est pas conforme à l'esprit de la politique de solidarité, de création d'emploi et de construction d'une société de l'information harmonieuse telle qu'elle a été impulsée par le gouvernement. Une telle position ne profiterait en effet qu'à un nombre très limité d'entreprises ou de catégories professionnelles mais probablement pas aux français ou aux européens dans leur ensemble.

Je vous prie d'agréer,
l'expression de mes sentiments les plus respectueux.