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Internet. Laurent Fabius prône l'instauration d'un forfait de connexion.

«100 F pour cent heures par mois»

Recueilli par Florent Latrive

Le 8 janvier 1999


PATRICK ARTINIAN.EDITING

Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale.


Dans le cahier
du vendredi
8 janvier 1999

Tranches d'immémoire
Pleines pages sur le Web
Adjugé vendu !
«100 F pour cent heures par mois»
L'Ermitage en solitaire
Tout le Johnny qu'on aime
En voeux-tu en voilà
Combats de bonne tenue
A l'Attac!
Lara craint
Faut-il un gendarme pour surveiller l'Internet?

 

En suivant le mot d'ordre de la grève du 13 décembre dernier, «l'Internet moins cher», et en laissant leurs ordinateurs éteints toute une journée, les internautes «boycotteurs» visaient à protester contre les notes de téléphone plombées par une tarification peu adaptée à l'Internet, où l'heure de navigation se retrouve facturée entre 8,72 F et 16,70 F selon les plages horaires. A l'heure où ces mêmes associations d'utilisateurs comptent renouveler le boycottage le 17 janvier, il est au moins une personne qui les a entendues: le président de l'Assemblée nationale.

Le 4 décembre, lors d'un colloque sur l'administration électronique, Laurent Fabius plaidait déjà pour une baisse des tarifs, afin d'«éviter que l'accès à l'Internet soit réservé aux ménages les plus aisés». Le 16, à l'occasion de l'inauguration à l'Assemblée nationale d'un site web, il évoquait l'exemple de l'Italie, où les parlementaires ont voté en novembre un forfait très avantageux pour l'accès au Net. Fanfaronnade? Rencontré mardi dans les murs de l'Assemblée nationale, Laurent Fabius persiste et se dit favorable à l'instauration d'un forfait ultracompétitif à destination des internautes. Mieux: il rappelle que les députés peuvent imposer la mise en place d'un tel forfait si une solution à l'amiable n'est pas trouvée entre France Télécom, l'Autorité de régulation des télécommunicationss (l'ART, le gendarme du secteur qui veille à la libre concurrence) et l'Etat, actionnaire majoritaire de l'opérateur. Trois acteurs qui ne cessent de s'accuser mutuellement de bloquer une baisse des tarifs. Interview.

«En novembre, les parlementaires italiens ont voté un forfait très avantageux pour l'accès au Net.»
Les coûts d'accès à l'Internet sont-ils excessifs?

L'accès à la «toile» est beaucoup trop cher. Si on part de l'idée que l'Internet est un formidable outil pour le futur, il ne faut pas qu'il existe de barrage financier à son usage. Or, les coûts dus à sa facturation, à la durée d'utilisation, restent trop élevés. Dans ces conditions, le risque est grand de voir se développer un fossé entre inforiches et infopauvres.

La France a de gros progrès à accomplir afin de diffuser l'Internet dans le pays. Je crois beaucoup à l'école, aux points d'accès publics et notamment aux bibliothèques. Mais, au-delà de cet effort d'investissement, se dressera toujours la barrière du prix du téléphone. La dernière étude de l'Idate (1), qui porte sur 31 pays classés par ordre croissant des coûts d'accès au réseau, place la France en 22e position. Et encore, pour six heures par mois. Pour dix heures, on se place en 26e position.

Se focaliser sur les coûts d'accès à l'Internet alors que près de 80% des foyers français ne sont pas équipés d'ordinateur multimédia, n'est-ce pas indécent?

Non, ce n'est pas contradictoire. Dans un autre domaine, ce n'est pas parce que la moitié des Français ne paient pas l'impôt sur le revenu qu'il ne faut pas le baisser. Ici, la crainte de recevoir des factures de télécoms trop élevées est un obstacle supplémentaire à l'achat d'un ordinateur. Evitons de nous focaliser sur le prix des machines, alors que bientôt, avec la baisse constante du coût des matériels, les sociétés qui fournissent l'accès à l'Internet offriront peut-être l'ordinateur en prime, comme le font les opérateurs de téléphone portable.

Comment faire baisser les coûts d'accès à l'Internet?

La meilleure solution me paraît être l'instauration d'un forfait pour un nombre substantiel d'heures. Par exemple, 100 francs pour cent heures de connexion mensuelles serait un bon objectif à atteindre rapidement.

«la grève a permis à l'ensemble des responsables, France Télécom, l'ART, le gouvernement, de mieux se rendre compte de l'ampleur et de la réalité du problème.»
Qui peut imposer ce forfait?

La tentation est grande de se tourner vers France Télécom. C'est facile: c'est eux qui envoient la facture. Mais l'opérateur répond que lorsqu'il essaie de proposer des tarifs avantageux pour les internautes, ces tarifs ne sont pas acceptés par l'ART. En fait, il n'y a pas un responsable unique de cette situation, chacun se renvoie la balle. C'est pourquoi la grève a permis à l'ensemble des responsables, France Télécom, l'ART, le gouvernement, de mieux se rendre compte de l'ampleur et de la réalité du problème.

L'ART risque de retoquer ce tarif. A un franc de l'heure, c'est en dessous des prix de revient...

L'ART, pour rendre ses avis, se réfère à une grille des «tarifs d'interconnexion». Ils correspondent au coût auquel France Télécom facture le transit sur ses propres lignes aux autres opérateurs. Il faudra donc créer des tarifs d'interconnexion spécifiques à l'Internet, afin que les concurrents de France Télécom ne soient pas pénalisés et puissent proposer une offre de nature identique. Ainsi, la concurrence sera respectée.

Vous excluez une intervention de l'Assemblée ?

Non. Mais je suis partisan de la méthode du bon sens, de la bonne volonté, d'une négociation et d'un calendrier plutôt que d'une législation immédiate mais inadaptée. L'ART et les opérateurs sont saisis du dossier. Le gouvernement, avec raison, y tient. Donnons-nous un semestre: si, en juin, tout le monde continue à se regarder en chiens de faïence, le Parlement se saisira certainement de ce dossier et trouvera une solution. C'est son rôle de définir les missions de service public de l'opérateur.

L'ouverture du capital de France Télécom n'a-t-elle pas entamé les marges de manœuvre du gouvernement?

Certes, mais l'Etat reste majoritaire dans le capital et peut faire valoir ses positions. Et certaines obligations de France Télécom sont définies par la loi du 26 juillet 1996. On doit veiller à ce qu'elles soient respectées.

(1) Institut de l'audiovisuel et des télecommunications en Europe.

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