Satellites Multimédia :quelques éléments pour clarifier le débat (30 mars 1999)

Idate



Les projets de constellations de satellites multimedia, après les premières constellations LEO visant l'offre de services mobiles, reposent la question du positionnement du satellite dans un monde des télécommunications et de l'audiovisuel en pleine évolution. Bousculant quelque peu la logique traditionnelle d'offre de services des satellites géostationnaires, ces nouveaux projets n'ont pas manqué de soulever un nombre important de questions sur les applications qu'ils comptent offrir, les marchés qu'ils visent, la pertinence de leur montage technique par rapport à ces applications, ces clientèles et ces marchés.

Par ailleurs, leur positionnement mondial amène également à s'interroger sur la façon dont ils gèrent la question réglementaire de l'allocation de fréquences et de licences d'exploitation. Enfin, se pose nécessairement la question de la concurrence avec les systèmes terrestres.

Ces projets sont portés par de grands industriels du secteur des télécommunications, de l'espace ou de l'informatique, ce qui leur donne incontestablement une légitimité technique et institutionnelle forte. Pour autant, les investissements envisagés sont souvent très importants, et il importe de les confronter à la réalité des marchés et de la concurrence.

Les principales conclusions que l'on peut tirer de l'étude IDATE " Satellites et Multimédias " sont les suivantes :

il y a vraiment un marché pour les satellites multimedia ;

il n'y aura pas d'obstacle réglementaire majeur ;

les aspects techniques semblent maîtrisés, mais la concurrence avec les plates-formes techniques terrestres sera rude ;

les projets se positionnent sur des marchés distincts du fait d'historiques, de partenariats, de choix techniques et commerciaux différents, le marché autour de l'internet étant bien plus important que celui des services interactifs autour de la télévision payante.

1. Il y a vraiment un marché pour les satellites multimedia

L'existence d'un marché, c'est évidemment la première question qui se pose même si tous s'entendent à dire que le multimedia sera le marché de demain.

Comme lieu de la convergence entre télécommunications et audiovisuel, le multimedia apparaît comme le marché qui pourrait redonner au satellite un positionnement commercial moins marginal. C'est bien le pari que font tous les projets envisagés, même si les positions varient entre des projets qui pensent que le multimedia s'orientera d'abord autour de l'offre de services asymétriques point-multipoint, et ceux qui tablent au contraire sur des services interactifs.

Au total, le marché potentiel que peuvent viser les satellites multimedia est donc susceptible d'atteindre les montants suivants en 2003 :

Tableau 1 : Le marché potentiel du satellite multimedia en 2003

(en millions $)
 

2003
 

marché du backbone
 

1 500
 

marché des accès internet haut débit
 

4 325
 

marché de l'intranet
 

2 420
 

services interactifs sur TV numérique
 

1 000
 

total
 

9 250
 

Source : IDATE, étude " Satelittes et Multimédia " (édition 1999)

 

Ce tableau met en évidence les points suivants :

Il y a vraiment un marché pour le satellite multimedia en 2003 (plus de 9 milliards $) et, c'est seulement à partir de cette date que la plupart des constellations de satellites multimedia envisagent d'offrir commercialement leurs services. Il est probable que les exploitants tablent sur des marchés plus importants à horizon 2005-2010, sans doute une multiplication par 2 ou 3 du potentiel. Ceci justifie les investissements des différents projets avec néanmoins des risques non négligeables liés au dérapage éventuel des coûts de mise en place des constellations et à un décollage de marché moins favorable que prévu.

Le marché du multimedia est d'abord un marché de services aux utilisateurs finaux, plutôt qu'un marché de capacité. Aussi, les opérateurs de satellites multimedia devront-ils soit entrer sur le métier de l'exploitation de services directement auprès des utilisateurs finaux pour toucher les marchés qu'ils espèrent - ce qui représente un métier sensiblement différent de celui qu'ils ont l'habitude d'exercer ; soit, et c'est plus probable, passer des accords de partenariat ou de distribution de services avec les opérateurs locaux.

Enfin, on voit que les différentes architectures techniques ne se positionnent pas de la même façon sur tous les marchés.

2. Il n'y aura pas d'obstacle réglementaire majeur

Les enjeux réglementaires sont mieux connus depuis que les premières constellations de satellites LEO, offrant des services mobiles par satellite, ont eu à frayer ce chemin. Les constellations de satellites multimedia ne diffèrent pas sensiblement des premières à ce niveau.

Elles devront aussi envisager des démarches :

au niveau mondial, d'abord au travers des procédures mondiales d'attribution de fréquences, qui sont d'autant plus importantes, dans le cadre de ces projets, que l'on a affaire à des constellations conçues d'emblée pour offrir des services à une échelle mondiale ;

au niveau national, ensuite, avec l'attribution dans chaque pays d'une licence d'exploitation sur telle ou telle bande de fréquence pour chaque projet.

3. Les aspects techniques semblent maîtrisés, mais la concurrence avec les plates-formes techniques terrestres sera importante

Tous les satellites multimedia exploitent deux techniques relativement nouvelles par rapport au mode actuel de fonctionnement des satellites géostationnaires : les pinceaux fins multiples (en lieu et place des répéteurs), le traitement et la commutation à bord. C'est cette combinaison qui permet d'envisager la réutilisation de fréquences. Ces techniques, nouvelles au sens où elle ne seront exploitées commercialement que pour la première fois par Iridium dans les prochains mois, ne semblent pas poser de problèmes majeurs.

Les projets se distinguent ensuite, au niveau de leurs architectures techniques, sur deux grands aspects :

. recours à l'orbite basse (Teledesic et Skybridge) ou à l'orbite géostationnaire (les autres projets) ;

. recours ou non aux liaisons inter-satellites (LIS).

Orbite basse et liaisons inter-satellites vont, là encore, être exploitées commercialement pour la première fois par les prochaines constellations de services mobiles par satellites.

En fait, toutes ces techniques ne semblent pas poser en soi de problème majeur.

Les autres solutions envisageables en termes de boucle locale terrestre doivent aussi faire leurs preuves en termes de rentabilité économique, même si elles sont en cours de déploiement.

En dehors de la fibre optique, dont la généralisation à l'ensemble des abonnés apparaît encore comme très onéreuse, quatre grandes techniques peuvent être envisagées pour offrir du haut débit sur la boucle locale :

. sur réseau filaire : xDSL et câble (+ modem-câble) ;

. sur réseau radio : LMDS et UMTS.

L'ADSL et le modem-câble, ainsi que les réseaux d'accès en fibre sur les grands quartiers d'affaires, devraient constituer les principales technologies concurrentes des offres satellitaires à moyen terme. On remarquera toutefois que les capacités de ces offres satellitaires ne leur donnent pas une vocation générale à se substituer aux infrastructures terrestres, mais plutôt un statut d'offre d'ajustement, "outsider" sur les marchés des pays occidentaux et "overlay" sur les zones faiblement équipées.

4. Les projets se positionnent sur des marchés distincts du fait d'historiques, de partenariats, de choix techniques et commerciaux différents, le marché autour de l'internet étant bien plus important que celui des services interactifs autour de la télévision payante.

En matière de satellites multimedia, il convient de distinguer deux grandes catégories d'acteurs :

d'une part, les opérateurs de satellites existants qui offrent déjà, ou envisagent d'offrir, des services multimedia

-on trouve dans cette catégorie : Eutelsat, Astra, Hughes/DirecTV, Orion

d'autre part, les projets de satellites multimedia, qui font beaucoup parler d'eux mais qui n'ont pour l'instant rien d'opérationnel à montrer.

-on trouve dans cette catégorie : Teledesic, Skybridge, Spaceway, Astrolink, Cyberstar

Le tableau suivant synthétise les atouts plus ou moins forts dont disposent les différents projets au regard d'un certain nombre de critères, qui permettront de qualifier les niveaux de risque mais aussi les potentiels de chacun.

Tableau 2 : Les atouts des différents projets au regard des critères de succès

+++ : atout très élevé ; ++ : atout élevé ; + atout moyen ; - pas d'atout ou même handicap


 

Astra/

Astra-net
 

Eutelsat
 

Orion
 

Hughes

DirecTV

->Spaceway
 

Astrolink
 

Cyberstar
 

Skybridge
 

Teledesic
 

qualité des partenariats
 

++
 

++
 

-
 

-
 

-
 

+
 

++
 

+++
 

capacité à mobiliser des capitaux
 

+
 

+
 

-
 

+
 

+
 

+
 

++
 

++
 

coût
 

+
 

+
 

+
 

-
 

-
 

+
 

-
 

-
 

progressivité du déploiement des services
 

++
 

++
 

++
 

++
 

-
 

+
 

-
 

-
 

antériorité sur les marchés
 

++
 

++
 

++
 

++
 

-
 

+
 

-
 

-
 

expérience dans l'offre de services
 

+
 

+
 

+
 

+
 

-
 

+
 

-
 

-
 

capacité à capter les marchés

1. autour de l'internet

2. autour des services de TV
 

-

++
 

-

++
 

-

++
 

-

++
 

-

++
 

-

++
 

+++

+
 

+++

+
 

simplicité technique
 

+
 

+
 

+
 

+
 

+
 

+
 

-
 

-
 

Source : IDATE

Au-delà des enjeux propres à chaque projet, une question essentielle reste celle d'une modification possible du positionnement du support satellite :

Le satellite peut rester dans sa position actuelle de support optimal sur les services point-multipoint et asymétriques, et ne pas changer de positionnement par rapport aux autres techniques de transport. Alors, les opérateurs qui disposent déjà d'une réelle expérience dans ce domaine ou qui fondent leur offre de services sur une optimisation de ces contraintes techniques sont les mieux placés pour occuper les niches du marché du multimedia large bande qu'ils visent.

Les nouvelles technologies, et, au-delà, les nouvelles conceptions du support (le satellite pour des services point à point et une réelle interactivité) qui sont portées par des projets comme Teledesic, Skybridge et quelques-uns parmi les constellations géostationnaires peuvent aussi permettre un nouveau positionnement du support satellite. Si celui-ci offre effectivement une pertinence économique pour le développement des services multimedia en comparaison avec les techniques terrestres alternatives, alors de tels projets, qui prennent un risque plus important, sont aussi en mesure de s'arroger des parts de marché beaucoup plus conséquentes.

Au total, donc, le satellite multimedia peut trouver sa place dans ce marché de demain, comme l'un des supports possibles pour l'offre de capacité mais surtout l'offre de services.

Compte tenu de la multiplicité des projets et des enjeux qui leur sont associés, on assistera vraisemblablement dans les prochaines années à des disparitions ou à des fusions de projets permettant de créer une plus grande continuité et une meilleure gamme au niveau des services proposés, et de l'étalement dans le temps des investissements, donc des revenus.

Ce sont les projets qui sortiront des ces réorganisations qui seront effectivement les mieux à même de faire du satellite un acteur à prendre en considération dans le développement des services multimedia au début du XXIème siècle.

C'est alors que prendront un nouvel essor les alliances entre opérateurs de télécommunications terrestres et opérateurs de satellites.

Valérie Le Peltier, Consultante senior - Département Marketing et Stratégies

v.lepeltier@idate.fr

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Journées Internationales de l'IDATE - 18 & 19 Nov. 1999

Les prochaines Journées Internationales de l'IDATE se tiendront les 18 & 19 Novembre à Montpellier (France) - sur le thème " Un monde sans fil ? ", l'occasion pour les nombreuses personnalités présentes de traiter des dossiers clés pour l'Europe :

Jusqu'où ira le téléphone mobile ?

Que doit-on attendre de l'UMTS ?

Des boucles locales radio ?

Que peut changer le numérique terrestre au marché de la télévision ?

Va-t-on vers une politique commune de la gestion du spectre radio ?

Des constellations satellites aux solutions en orbite basse ?

...