Les projets de constellations de satellites multimedia,
après les premières constellations LEO visant
l'offre de services mobiles, reposent la question du
positionnement du satellite dans un monde des
télécommunications et de l'audiovisuel en
pleine évolution. Bousculant quelque peu la logique
traditionnelle d'offre de services des satellites
géostationnaires, ces nouveaux projets n'ont pas
manqué de soulever un nombre important de questions
sur les applications qu'ils comptent offrir, les
marchés qu'ils visent, la pertinence de leur montage
technique par rapport à ces applications, ces
clientèles et ces marchés.
Par ailleurs, leur positionnement mondial amène
également à s'interroger sur la façon
dont ils gèrent la question réglementaire de
l'allocation de fréquences et de licences
d'exploitation. Enfin, se pose nécessairement la
question de la concurrence avec les systèmes
terrestres.
Ces projets sont portés par de grands industriels
du secteur des télécommunications, de l'espace
ou de l'informatique, ce qui leur donne incontestablement
une légitimité technique et institutionnelle
forte. Pour autant, les investissements envisagés
sont souvent très importants, et il importe de les
confronter à la réalité des
marchés et de la concurrence.
Les principales conclusions que l'on peut tirer de
l'étude IDATE " Satellites et Multimédias "
sont les suivantes :
il y a vraiment un marché pour les satellites
multimedia ;
il n'y aura pas d'obstacle réglementaire
majeur ;
les aspects techniques semblent
maîtrisés, mais la concurrence avec les
plates-formes techniques terrestres sera rude ;
les projets se positionnent sur des marchés
distincts du fait d'historiques, de partenariats, de choix
techniques et commerciaux différents, le
marché autour de l'internet étant bien plus
important que celui des services interactifs autour de la
télévision payante.
1. Il y a vraiment un marché pour les
satellites multimedia
L'existence d'un marché, c'est évidemment
la première question qui se pose même si tous
s'entendent à dire que le multimedia sera le
marché de demain.
Comme lieu de la convergence entre
télécommunications et audiovisuel, le
multimedia apparaît comme le marché qui
pourrait redonner au satellite un positionnement commercial
moins marginal. C'est bien le pari que font tous les projets
envisagés, même si les positions varient entre
des projets qui pensent que le multimedia s'orientera
d'abord autour de l'offre de services asymétriques
point-multipoint, et ceux qui tablent au contraire sur des
services interactifs.
Au total, le marché potentiel que peuvent viser
les satellites multimedia est donc susceptible d'atteindre
les montants suivants en 2003 :
Tableau 1 : Le marché
potentiel du satellite multimedia en
2003
(en millions $)
|
2003
|
marché du backbone
|
1 500
|
marché des accès internet haut
débit
|
4 325
|
marché de l'intranet
|
2 420
|
services interactifs sur TV numérique
|
1 000
|
total
|
9 250
|
Source : IDATE, étude "
Satelittes et Multimédia " (édition
1999)
Ce tableau met en évidence les points suivants
:
Il y a vraiment un marché pour le satellite
multimedia en 2003 (plus de 9 milliards $) et, c'est
seulement à partir de cette date que la plupart des
constellations de satellites multimedia envisagent d'offrir
commercialement leurs services. Il est probable que les
exploitants tablent sur des marchés plus importants
à horizon 2005-2010, sans doute une multiplication
par 2 ou 3 du potentiel. Ceci justifie les investissements
des différents projets avec néanmoins des
risques non négligeables liés au
dérapage éventuel des coûts de mise en
place des constellations et à un décollage de
marché moins favorable que prévu.
Le marché du multimedia est d'abord un marché
de services aux utilisateurs finaux, plutôt qu'un
marché de capacité. Aussi, les
opérateurs de satellites multimedia devront-ils soit
entrer sur le métier de l'exploitation de services
directement auprès des utilisateurs finaux pour
toucher les marchés qu'ils espèrent - ce qui
représente un métier sensiblement
différent de celui qu'ils ont l'habitude d'exercer ;
soit, et c'est plus probable, passer des accords de
partenariat ou de distribution de services avec les
opérateurs locaux.
Enfin, on voit que les différentes architectures
techniques ne se positionnent pas de la même
façon sur tous les marchés.
2. Il n'y aura pas d'obstacle réglementaire
majeur
Les enjeux réglementaires sont mieux connus depuis
que les premières constellations de satellites LEO,
offrant des services mobiles par satellite, ont eu à
frayer ce chemin. Les constellations de satellites
multimedia ne diffèrent pas sensiblement des
premières à ce niveau.
Elles devront aussi envisager des démarches :
au niveau mondial, d'abord au travers des procédures
mondiales d'attribution de fréquences, qui sont
d'autant plus importantes, dans le cadre de ces projets, que
l'on a affaire à des constellations conçues
d'emblée pour offrir des services à une
échelle mondiale ;
au niveau national, ensuite, avec l'attribution dans chaque
pays d'une licence d'exploitation sur telle ou telle bande
de fréquence pour chaque projet.
3. Les aspects techniques
semblent maîtrisés, mais la concurrence avec
les plates-formes techniques terrestres sera
importante
Tous les satellites multimedia exploitent deux techniques
relativement nouvelles par rapport au mode actuel de
fonctionnement des satellites géostationnaires : les
pinceaux fins multiples (en lieu et place des
répéteurs), le traitement et la commutation
à bord. C'est cette combinaison qui permet
d'envisager la réutilisation de fréquences.
Ces techniques, nouvelles au sens où elle ne seront
exploitées commercialement que pour la
première fois par Iridium dans les prochains mois, ne
semblent pas poser de problèmes majeurs.
Les projets se distinguent ensuite, au niveau de leurs
architectures techniques, sur deux grands aspects :
. recours à l'orbite basse (Teledesic et
Skybridge) ou à l'orbite géostationnaire (les
autres projets) ;
. recours ou non aux liaisons inter-satellites (LIS).
Orbite basse et liaisons inter-satellites vont, là
encore, être exploitées commercialement pour la
première fois par les prochaines constellations de
services mobiles par satellites.
En fait, toutes ces techniques ne semblent pas poser en
soi de problème majeur.
Les autres solutions envisageables en termes de boucle
locale terrestre doivent aussi faire leurs preuves en termes
de rentabilité économique, même si elles
sont en cours de déploiement.
En dehors de la fibre optique, dont la
généralisation à l'ensemble des
abonnés apparaît encore comme très
onéreuse, quatre grandes techniques peuvent
être envisagées pour offrir du haut
débit sur la boucle locale :
. sur réseau filaire : xDSL et câble (+
modem-câble) ;
. sur réseau radio : LMDS et UMTS.
L'ADSL et le modem-câble, ainsi que les
réseaux d'accès en fibre sur les grands
quartiers d'affaires, devraient constituer les principales
technologies concurrentes des offres satellitaires à
moyen terme. On remarquera toutefois que les
capacités de ces offres satellitaires ne leur donnent
pas une vocation générale à se
substituer aux infrastructures terrestres, mais plutôt
un statut d'offre d'ajustement, "outsider" sur les
marchés des pays occidentaux et "overlay" sur les
zones faiblement équipées.
4. Les projets se positionnent sur des marchés
distincts du fait d'historiques, de partenariats, de choix
techniques et commerciaux différents, le
marché autour de l'internet étant bien plus
important que celui des services interactifs autour de la
télévision payante.
En matière de satellites multimedia, il convient
de distinguer deux grandes catégories d'acteurs :
d'une part, les opérateurs de satellites
existants qui offrent déjà, ou envisagent
d'offrir, des services multimedia
-on trouve dans cette catégorie : Eutelsat, Astra,
Hughes/DirecTV, Orion
d'autre part, les projets de satellites multimedia,
qui font beaucoup parler d'eux mais qui n'ont pour l'instant
rien d'opérationnel à montrer.
-on trouve dans cette catégorie : Teledesic,
Skybridge, Spaceway, Astrolink, Cyberstar
Le tableau suivant synthétise les atouts plus ou
moins forts dont disposent les différents projets au
regard d'un certain nombre de critères, qui
permettront de qualifier les niveaux de risque mais aussi
les potentiels de chacun.
Tableau 2 : Les atouts des
différents projets au regard des critères de
succès
+++ : atout très
élevé ; ++ : atout élevé ; +
atout moyen ; - pas d'atout ou même
handicap
|
Astra/
Astra-net
|
Eutelsat
|
Orion
|
Hughes
DirecTV
->Spaceway
|
Astrolink
|
Cyberstar
|
Skybridge
|
Teledesic
|
qualité des partenariats
|
++
|
++
|
-
|
-
|
-
|
+
|
++
|
+++
|
capacité à mobiliser des
capitaux
|
+
|
+
|
-
|
+
|
+
|
+
|
++
|
++
|
coût
|
+
|
+
|
+
|
-
|
-
|
+
|
-
|
-
|
progressivité du déploiement des
services
|
++
|
++
|
++
|
++
|
-
|
+
|
-
|
-
|
antériorité sur les
marchés
|
++
|
++
|
++
|
++
|
-
|
+
|
-
|
-
|
expérience dans l'offre de services
|
+
|
+
|
+
|
+
|
-
|
+
|
-
|
-
|
capacité à capter les
marchés
1. autour de l'internet
2. autour des services de TV
|
-
++
|
-
++
|
-
++
|
-
++
|
-
++
|
-
++
|
+++
+
|
+++
+
|
simplicité technique
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
-
|
-
|
Source : IDATE
Au-delà des enjeux propres à chaque projet,
une question essentielle reste celle d'une modification
possible du positionnement du support satellite :
Le satellite peut rester dans sa
position actuelle de support optimal sur les services
point-multipoint et asymétriques, et ne pas changer
de positionnement par rapport aux autres techniques de
transport. Alors, les opérateurs qui disposent
déjà d'une réelle expérience
dans ce domaine ou qui fondent leur offre de services sur
une optimisation de ces contraintes techniques sont les
mieux placés pour occuper les niches du marché
du multimedia large bande qu'ils visent.
Les nouvelles technologies, et,
au-delà, les nouvelles conceptions du support (le
satellite pour des services point à point et une
réelle interactivité) qui sont portées
par des projets comme Teledesic, Skybridge et quelques-uns
parmi les constellations géostationnaires peuvent
aussi permettre un nouveau positionnement du support
satellite. Si celui-ci offre effectivement une pertinence
économique pour le développement des services
multimedia en comparaison avec les techniques terrestres
alternatives, alors de tels projets, qui prennent un risque
plus important, sont aussi en mesure de s'arroger des parts
de marché beaucoup plus
conséquentes.
Au total, donc, le satellite
multimedia peut trouver sa place dans ce marché de
demain, comme l'un des supports possibles pour l'offre de
capacité mais surtout l'offre de services.
Compte tenu de la multiplicité des projets et des
enjeux qui leur sont associés, on assistera
vraisemblablement dans les prochaines années à
des disparitions ou à des fusions de projets
permettant de créer une plus grande continuité
et une meilleure gamme au niveau des services
proposés, et de l'étalement dans le temps des
investissements, donc des revenus.
Ce sont les projets qui sortiront des ces
réorganisations qui seront effectivement les mieux
à même de faire du satellite un acteur à
prendre en considération dans le développement
des services multimedia au début du XXIème
siècle.
C'est alors que prendront un nouvel essor les alliances
entre opérateurs de télécommunications
terrestres et opérateurs de satellites.
Valérie Le Peltier, Consultante senior -
Département Marketing et Stratégies
v.lepeltier@idate.fr
***
Journées Internationales de l'IDATE - 18 &
19 Nov. 1999
Les prochaines Journées Internationales de l'IDATE
se tiendront les 18 & 19 Novembre à Montpellier
(France) - sur le thème " Un monde sans fil ?
", l'occasion pour les nombreuses personnalités
présentes de traiter des dossiers clés pour
l'Europe :
Jusqu'où ira le téléphone mobile
?
Que doit-on attendre de l'UMTS ?
Des boucles locales radio ?
Que peut changer le numérique terrestre au
marché de la télévision ?
Va-t-on vers une politique commune de la gestion du
spectre radio ?
Des constellations satellites aux solutions en orbite
basse ?
...
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