RESTRUCTURATIONS DANS LES TELECOMS SPATIALES

 

Les systèmes de télécommunications spatiales se mondialisent et préparent l'arrivée de l'Internet en orbite.

 

Actuellement, nous assistons à une transformation des métiers dans les télécommunications spatiales. Les constructeurs de satellites deviennent opérateurs, les opérateurs deviennent prestataires de services, etc. En effet, les satellites ne sont plus de simples miroirs ("bent pipe") car ils peuvent désormais traiter le signal en orbite à l'aide de processeurs embarqués (OBP). Certaines fonctions sont donc déplacées du segment sol vers le segment spatial. Par ailleurs, les restructurations auxquelles nous avons assisté ces dernières années ont donné naissance à de nouveaux opérateurs globaux qui concurrencent désormais les organisations internationales.

 

 

Intelsat, la plus ancienne organisation, exploite 19 satellites auxquels s'ajouteront les cinq Intelsat-9 commandés à Loral qui doivent être lancés entre 2000 et 2001. De plus, la nouvelle filiale commerciale New Skies Satellites N.V a hérité de six satellites dont Intelsat-K-TV réalisé par Matra qui doit être lancé par Ariane 4 le 12 mars prochain. Intelsat, dont le chiffre d'affaires était de 960 M$ en 1997, pourrait être entièrement privée à partir de 2001. Cette année, elle a lancé un service Internet en bande Ku et envisage de commander des satellites en bande Ka pour 2002.

 

 

L'autre organisation internationale, Inmarsat, exploite quatre Inmarsat-2 réalisés par Matra et cinq Inmarsat-5 de Lockheed Martin, avec une charge utile de Matra, pour des liaisons mobiles. De plus, elle a formé la société ICO qui va déployer sa constellation de téléphonie mobile entre 1999 et 2000, avec 12 satellites en orbite moyenne. Enfin, elle envisage de commander trois ou quatre satellites géostationnaires Horizons qui devraient être opérationnels en 2002. Ces derniers serviront à des services multimédias mobiles en bande Ka. Avec un chiffre d'affaires de 384 M$ en 1997, Inmarsat a adopté le projet de restructuration qui lui donne le statut de société privée dès 1999.

 

En Europe, Eutelsat et SES/Astra ont aussi des ambitions globales. Eutelsat, basé à Paris, exploite 14 satellites auxquels vont s'ajouter W3, lancé le 12 mars sur Atlas-2AS, W4, en mai sur Ariane 504, et Sesat sur Proton au printemps 1999. Puis ce seront W-1R (Alcatel), Europesat-1B (Matra) et Ressat (Matra) en 2000. Eutelsat qui s'étend vers l'ouest à 12,5° W et vers l'est à 48° E, propose de nouveaux services avec le multiplexage en orbite (Skyplex), la téléphonie mobile (Emsat) et l'Internet en bande Ku (Easynet). Par ailleurs, il discute avec les opérateurs d'autres systèmes comme Troïka sur la Russie, EAST sur lAfrique, etc. Avec un chiffre d'affaires de 450 MEuros (2,9 MdF), Eutelsat va évoluer vers une double entité - l'organisation et une société anonyme de droit français qui exploitera le système - dont la mise en place devrait être terminée avant la fin de 2001.

 

Quant au Luxembourgeois SES/Astra, il exploite huit satellites sur deux positions orbitales à 19,2 et 28,2° E et loue également Sirius-3. Il prévoit de lancer Astra-1H (Hughes) en mars sur Proton, Astra-2B (Matra) en juin sur Ariane et Astra-1K (Alcatel) en 2000 sur Ariane. Astra-1H et Astra-1K seront dotés de charges utiles en bande Ka. Après la mise en service d'AstraNet, l'opérateur a racheté sa filiale ESM pour former SES Multimedia SA. De plus, il a pris une participation de 34 % chez Asiasat pour s'étendre à l'Est. SES affiche un résultat d'environ 1 MdF pour un chiffre d'affaires de 3 MdF.

 

L'expansion est aussi le mot d'ordre de l'opérateur canadien Telesat. Grâce aux trois satellites qu'il exploite actuellement (Anik-C1, Anik-E1 et Anik-E2), il avait un chiffre d'affaires de 240 M$CAN (960 MF) en 1997. Mais il va bientôt diffuser sur l'Amérique du Nord et du Sud grâce aux cinq autres satellites qu'il va mettre en

service d'ici à 2003. Le satellite de télédiffusion directe Nimiq-1 (3,59 t), un

A2100AX de Lockheed Martin, sera lancé par une fusée Proton en mai pour diffuser plus de 200 programmes TV sur lAmérique du Nord. Ensuite, Anik-F1 (4,6 t), un HS-702 de Hughes qui aura 36 répéteurs en bande C et 48 en bande Ku, sera lancé par une fusée Ariane en 2000 pour émettre sur les EtatsUnis, le Mexique et l'Amérique latine. Enfin, il y aura le satellite PSA-1 (Project South America) qui devrait être lancé en 2002. De plus, Telesat prévoit de commander Nimiq-2 et Anik-F2. Ce dernier devrait être lancé en 2002 pour couvrir l'Amérique du Nord et être doté d'un répéteur en bande Ka pour des applications multimédias. Telesat discute actuellement avec SES/Astra et il n'est pas exclu qu'Alcatel Space fournisse un satellite identique à Astra- 1K pour Anik-F2. Ce dernier servira au développement de l'Internet au Canada.

 

En Asie-Pacifique, la crise économique a retardé un certain nombre de lancements. Ainsi, Hong Kong (Apstar), l'Indonésie (M2A), la Malaisie (Measat), la Thaïlande (Thaïcom), les Philippines (Agila) et le Laos (L-Star) attendent de meilleurs jours. Toutefois, un certain nombre de satellites vont être lancés dont Asiasat-3S (qui remplacera celui qui fut perdu en décembre 1997), Telkom-1 (un A2100 de Lockheed Martin qui remplacera Palapa-B2R) et Koreasat-3 (un A2100 doté de 30 répéteurs en bande Ku et 3 en bande Ka). Par contre, le lancement d'Asiasat-4 est reporté en 2001 ou 2002. Au Japon, en Chine ou en Inde, la situation est meilleure. Il y a même une concurrence qui se prépare au Japon sur la position à 110' E. En effet, les satellites BS-4 et BSAT-2 de NHK et BSSC, ainsi que N-Sat- 110 de SCC et JSAT doivent y être placés en 2000.

 

Face au monde des opérateurs, il y a désormais les constructeurs de satellites. Ainsi, Hughes, avec un chiffre d'affaires de 5,12 Md$ (28,6 MdF) en 1997, est présent dans tous les secteurs d'activité des télécommunications spatiales. Il est dans le ,segment spatial avec Space & Communications (CA de 2,5 Md$), dans le segment sol avec Hughes Networks Systems (CA de 1 Md$), tout en étant opérateur avec Panamsat (CA de 630 M$) et DirecTV (CA de 1,27 Md$). Sur les 38 satellites de son carnet de commandes, la moitié doit être lancée cette année. Cependant, plusieurs satellites de Hughes sont tombés en panne en orbite et d'autres seraient menacés de pannes équivalentes. Afin de ne pas prendre de risques supplémentaires, des lancements ont été reportés à plusieurs reprises dont celui de JCSat-6 qui devrait intervenir le 31 janvier. En tant qu'opérateur, Panamsat exploite 19 satellites SBS, Galaxy et Panamsat et il devrait en lancer 6 autres en 1999. Dans la télédiffusion, la filiale DirecTV a racheté USSB pour 1,3 Md$ et doit lancer le satellite DirecTV-1R cette année. Mais la concurrence s'organise aussi car Echostar (4 satellites) s'est allié avec News Corp./MCI (satellites Sky-1A et 1B), tandis que Primestar exploite Tempo-lA et loue GE-2 à son actionnaire GE Americom. De plus, Hughes est présent dans la téléphonie mobile avec AMSC et ICO, ainsi que dans la radiodiffusion avec AMRC. Enfin, Hughes prépare les satellites Spaceway en bande Ka pour 2002 (Panamsat pourrait jouer un rôle dans ce système), les constellations HughesNet (70 satellites en orbite basse) et HughesLINK (22 satellites en orbite moyenne), ainsi que les projets Expressway, SpaceCast, StarLynx en bande Q/V.

 

 

Lockheed Martin est également constructeur et opérateur avec ses filiales LMGT, LMT et LMI (Interspoutnik) et le rachat de Comsat pour 2,7 Md$ (15 MdF). Ce dernier doit lancer quatre satellites A2100 d'ici à 2000 dont le premier, LMI-1, est prévu sur Proton-M cet été. De plus, Lockheed Martin a signé un partenariat avec GE Americom, filiale de GE Capital, qui exploite pour sa part 12 satellites, cinq Satcom, un Gstar, deux Spacenet et quatre GE, et va augmenter sa flotte à 20 satellites. Il y aura d'abord le GE-4 en septembre 1999 (qui remplacera Spacenet-4), puis les GE-6, 7 et 8 en 2000.

 

Enfin, Lockheed Martin prépare son futur système AstroLink en bande Ka pour 2002. Par ailleurs, GE Americom va s'étendre sur l'Europe avec les satellites GEIE (16 répéteurs sur Sirius-2) et GE-2E qui sera lancé en 2000, puis sur lAsie avec GE1A et 2A qui seront respectivement lancés en octobre 1999 et en 2000. De plus, l'opérateur a une participation dans Nahuelsat sur l'Amérique du Sud. Enfin, il prévoit de lancer les satellites GEStar en bande Ka et GEStar-Plus en bande Q/V.

 

Le troisième acteur américain Loral est aussi constructeur et opérateur. Il produit la plate-forme FS-1300 qui a aussi connu un problème avec le satellite Panamsat-8 lancé en novembre. Après avoir étudié la nouvelle plate-forme nommée LaFayette, Loral vient de mettre sur le marché la plate-forme 20.20 pour satellites géostationnaires allant jusqu'à 25 kW et jusqu'à 150 répéteurs à partir de 2002. C'est le double de la capacité des satellites actuels. Après le rachat de ATT/Skynet, d'Orion et de Satmex, il exploite trois satellitesTelstar, Orion-1 et trois satellites mexicains Solidaridad et Morelos. De plus, Telstar-6 doit être lancé le 30 janvier par une Proton, Telstar-7 par la première Atlas-3A en juin, puis les Telstar8 et 9 en 2000. De même, lOrion-1 de Matra sera complété par Orion-2 de Loral, l'Orion-3 de Hughes, ainsi que les futurs Orion-4, 5 et 6. Loral est présent dans la téléphonie mobile avec Globalstar et prévoit trois satellites Cyberstar en bande Ka pour 2002, puis les Cyberpath en bande Q/V. C'est aussi un partenaire d'Alcatel Space dans plusieurs projets.

 

 

Diversification des applications

 

 

Alcatel Space, qui devrait avoir un chiffre d'affaires de 10 MdF en 1998, produit les plates-formes Spacebus et des charges utiles. En tant qu'opérateur, Alcatel Spacecôm est présent dans Euteltracs (cf. encadré), Eurasiasat, Globalstar, EuropeStar et Cyberstar. Deux satellites EuropeStar doivent être lancés en 2000 et 2002. De plus, Alcatel Space va déployer la constellation Skybridge pour les applications multimédias en bande Ku à partir de 2001.

 

Pour sa part, Matra Marconi Space s'est allié à Dasa et Alenia pour former le numéro un spatial européen avec un chiffre d'affaires de 18 MdF. Matra produit les platesformes Eurostar et des charges utiles. Il développe le satellite GEOmobile EAST et le système WEST destiné aux multimédias. Ce dernier devrait fusionner avec le projet EuroSkyWay d'Alenia.

 

Dans la téléphonie mobile, les constellations Iridium, Globalstar et ICO seront déployées d'ici à 2000. Ils seront alors concurrencés par les GEOmobile qui feront leur apparition en 2000. Il s'agit de Thuraya sur le Moyen-Orient, APMT sur l'Asie (qui est toujours en attente d'une licence d'exportation pour une plateforme HS-702 de Hughes), ACeS/Garuda et ASC/Agrani également sur l'Asie. Récemment, EAST et ACeS se sont associés pour développer un équipement standard baptisé GMSS. Les grandes antennes pour ces satellites sont fournies par Harris Corp. et la filiale Astrospace de Spar qui vient d'être vendue à TRW.

 

Dans la radiodiffusion, quatre opérateurs vont bientôt être en concurrence. Il s'agit de Worldspace avec trois satellites d'Alcatel, de CD Radio avec quatre satellites de Loral (dont deux lancés par Proton en 2000), AMRC/XM Satellite Radio avec deux HS-702 de Hughes en 2000 (dont la charge utile est fournie par Alcatel) et Digital Satellite Broadcasting avec des satellites de Lockheed Martin. Par ailleurs, Worldspace pourrait porter sa participation de 20 à 80 % dans XM Satellite Radio.

 

Dans le multimédia, de nombreux projets existent en bande Ku et Ka, en orbite basse ou géostationnaire. La première constellation, Skybridge d'Alcatel composée de 80 satellites en bande Ku, est prévue pour 2001. La seconde, Teledesic de Motorola et Matra (environ 100 satellites en bande Ka et un supplément de 30 satellites en bande Ku sur orbite,MEO), ne devrait pas être en service avant 2003, alors que les satellites géostationnaires devraient être opérationnels dès 2002. Pour Teledesic, la propulsion plasmique, qui équipe déjà les satellites de Hughes, a été retenue et trois équipes sont actuellement en compétition. Il s'agit de Boeing avec le TsNII Mach, Loral avec Fakel et Matra avec l'Institut Keldysh.

 

Enfin, de nouveaux projets viennent de faire leur apparition pour les applications multimédias. Ainsi, MCHI a formé Virtual Geosatellite LLC pour exploiter la constellation Virgo de 15 satellites en bande Ku sur orbites elliptiques pour 2,63 Md$ (14,7 MdF), Hughes propose deux constellations (HughesNet et HughesLINK), tandis que Boeing envisage de placer 20 satellites en orbite moyenne.

 

 

 

CHRISTIAN LARDIER

 

AIR & COSMOS/AVIATION MAGAZINE INTERNATIONAL N' 1688 -

VENDREDI 29 JANVIER 1999