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L'avenir des systèmes de satellites eu ropéens vu par le directeur général de la Société Européenne de Satellite


98/05/05

Astra riposte à "la concurrence déloyale"d'Eutelsat

+ La Société Européenne de Satellite, qui exploite le système Astra, est le premier opérateur européen de satellites pour l'audiovisuel. + Face à un marché qui lui paraît saturé, la société luxembourgeoise entend attaquer le marché des télécommunications. + Romain Bausch, son directeur général, critique par ailleurs fortement l'administration française pour sa gestion du dossier Eutelsat.

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    @@ La Tribune @@ " La Tribune ". - La SES réfléchissait depuis longtemps à une introduction en Bourse. Quelles raisons vous poussent aujourd'hui à franchir le pas ? Romain Bausch. - L'une des raisons est de donner de la liquidité aux actionnaires qui nous ont accompagnés tout au long du développement de la société, surtout ceux de la première heure qui s'étaient engagés dès 1985, à l'époque où l'investissement s'apparentait à une opération de capital-risque. Au-delà, la société a intérêt à élargir son capital à des investisseurs institutionnels dans la perspective d'investissements liés aux satellites de la nouvelle génération. De surcroît, nous serons probablement amenés dans les années à venir à augmenter notre capital pour financer les nouveaux projets inscrits dans notre stratégie de développement, voire pour accueillir de nouveaux partenaires industriels. A quels projets industriels faites-vous allusion ? - Nous avons un plan de développement progressif. Tout d'abord, nous allons consolider nos positions dans la télévision et la radio par satellite sur les principaux marchés européens. Puis les étendre aux marchés limitrophes. En plus de cela, nous avons inclus les investissements relatifs à l'élargissement de nos activités aux applications multimédias tant uni-directionnelles que bi-directionnelles. Je veux parler d'AstraNet et de la voie de retour par satellite Arcs (Astra Return Channel System). L'étape suivante, ce sont les satellites de la nouvelle génération, permettant la diffusion de tout type de trafic, y compris dans le domaine des télécommunications. Voilà pour la philosophie de nos projets, mais leur nature n'est pas encore arrêtée. Nous serons plus précis d'ici à la fin de l'année, y compris sur le type de partenaires avec lesquels nous allons développer ces projets. C'est de là que découlera la décision d'une augmentation de capital. Nous espérons cependant que l'infrastructure liée à ces projets sera en orbite dans trois à quatre ans. Pourquoi cette prudence alors que les projets de constellation se multiplient ? - Pour l'instant, ceux qui ont déclaré vouloir investir dans les nouvelles constellations de satellites à bande large sont principalement des constructeurs de satellites. Aucun opérateur de satellite existant n'a encore précisé ses projets. Les constructeurs forcent un peu l'allure : si j'en crois leurs déclarations, nous devrions approcher du moment où les premiers satellites de nouvelle génération devraient être opérationnels. Nous sommes plus réalistes. Nous pensons que les satellites géostationnaires de nouvelle génération ne seront pas disponibles avant 2002-2003 et les premiers satellites en orbite basse avant 2003-2004. Ne craignez-vous pas néanmoins que les premières constellations prennent le marché ? - Le seul système en orbite basse (LEO) proche d'être complètement en orbite est celui d'Iridium. Et son lancement commercial est prévu pour septembre. D'autres sont en phase de fabrication, comme GlobalStar. Mais tous ces systèmes de satellites sont destinés aux communications à bande étroite, essentiellement dans la téléphonie mobile. En ce qui nous concerne, nous visons des transmissions à large bande : télécommunications fixes et mobiles, vidéo, transmission de données à haut débit... Le développement de satellites LEO à bande large requiert encore des développements qui vont bien au-delà de ce qui est requis pour ceux d'un système LEO à bande étroite. Le marché des télécommunications est-il devenu incontournable ? - Le marché européen de l'audiovisuel par satellite risque d'être bientôt saturé. L'Europe est de loin la région au monde la plus développée sur ce secteur, grâce au succès d'Astra mais aussi parce qu'Eutelsat a imité de manière intelligente notre concept. En matière de radiodiffusion, je ne vois pas ce qui pourrait justifier des investissements supplémentaires. En outre, les progrès technologiques nous permettent d'élargir la zone de couverture et la capacité de transport. Alors qu'aujourd'hui, grâce à la compression numérique, il est possible de transmettre 6 à 8 chaînes de télévision sur un transpondeur ; dans deux à trois ans, la capacité sera de 20 ou 30 chaînes. Nous serons en mesure de répondre largement aux besoins, notamment en élargissant notre zone de couverture aux marchés émergents tels que ceux d'Europe de l'Est. A quelle échéance estimez-vous que le marché des télécommunications par satellite puisse réellement mordre sur les transmissions terrestres ? - Le grand défi pour les opérateurs de satellite consistera à réaliser des investissements de manière coordonnée afin d'augmenter la part de marché des télécommunications par satellite. Je pense en particulier à la nécessaire compatibilité des terminaux. Les projections les plus optimistes prévoient que 10 % des services de télécommunications seront diffusés par satellite d'ici une dizaine d'années. Dans nos propres projections, extrêmement prudentes, nous démontrons la rentabilité de l'investissement même dans l'hypothèse où les télécommunications par satellite ne représenteraient que 5 % du marché mondial et 1 % du marché européen à cette date. A quelle échéance pensez-vous avoir des revenus qui dépendent moins de l'audiovisuel ? - D'un point de vue conservateur, l'ensemble des activités multimédias devraient approcher les 50 % de notre chiffre d'affaires d'ici à l'an 2010. Si j'adopte un point de vue un peu plus optimiste, je peux imaginer que ce pourcentage sera atteint en 2005. Votre principal concurrent, Eutelsat, est sur la voie de la privatisation. La redoutez-vous ? - Astra est d'ores et déjà une société privée. Notre tour de table est composé de deux types d'actionnaires, les uns privés, les autres publics, l'Etat luxembourgeois détenant 20 % du capital et 33 % des droits de vote. Les actionnaires publics luxembourgeois disposent d'un droit de veto et la franchise accordée à la SES par le gouvernement lui impose en retour un certain nombre d'obligations. Par exemple, nous devons notifier aux autorités luxembourgeoises chaque programme audiovisuel avant de le diffuser. Il y a des garde-fous - qui n'existent pas chez Eutelsat - pour que la SES respecte la directive " télévision sans frontières ". Au-delà de la structure de l'actionnariat, il y a également des dispositions qui font qu'aucun actionnaire ne peut détenir plus de 10 % du capital, sauf autorisation du gouvernement. Jusqu'à présent seule Deutsche Telekom a reçu cette autorisation. Nous sommes donc un opérateur privé avec beaucoup de règles dictées par les autorités publiques, qu'il nous faut respecter. De l'autre côté, avec Eutelsat, vous avez un opérateur public, Eutelsat, qui a déjà ouvert son capital à des opérateurs privés qui ne font pas partie des signataires à l'origine du consortium. J'espère donc qu'à l'occasion du processus de privatisation, les Etats et les opérateurs publics feront également preuve de prudence. Car, compte tenu des règles que je vous ai indiquées, je suis sûr d'une chose : l'actionnaire majoritaire de la SES ne sera jamais une multinationale du type Microsoft. Je voudrais avoir la même certitude que, dans cinq ans, Eutelsat ne soit pas contrôlé à 100 % par Microsoft ou par une autre entreprise non européenne ayant la même ambition mondiale. Je vous rappelle que BT, dont on connaît l'appétit pour le marché américain, est aujourd'hui l'actionnaire principal d'Eutelsat. Deutsche Telekom est présent à la fois dans la SES et Eutelsat. Cette position est-elle tenable ? - La présence de Deutsche Telekom dans le capital de la SES a été très constructive. Mais il est vrai qu'à moyen terme et dans la perspective d'une privatisation d'Eutelsat, il sera difficile à l'opérateur d'avoir un pied dans la SES et un autre dans Eutelsat. Il est donc possible que, au fur et à mesure des projets de développements qui se concrétisent de part et d'autre, la position de Deutsche Telekom puisse évoluer. Mais il n'y a pas d'urgence. Eutelsat devrait lancer un satellite sur 29 degrés Est, une position orbitale proche de la vôtre à 28,2 degrés Est. Cette proximité peut-elle vous porter préjudice ? - Naturellement, il existe de sérieux risques d'interférences. Mais surtout Eutelsat entend profiter du développement par la SES et ses clients de la télévision numérique par satellite en Grande-Bretagne, un marché auquel elle n'avait absolument pas contribué. Le Luxembourg considère que la manière d'agir d'Eutelsat et de l'administration française n'est pas loyale. Eutelsat s'est servi des tests effectués sur un satellite Hotbird en décembre 1996 sur la position 29 degrés Est pour notifier la mise en service d'Europesat sur cette même position. Peu après, Hotbird a été mis en service sur sa position à 13 degré Est et la construction d'Europesat démarre à peine ! Ce jeu déplaisant ne correspond pas à l'esprit de l'Union internationale des télécommunications (UIT) et n'est pas respectueux des principes inhérents à une gestion responsable de la rare ressource naturelle que constitue le spectre des fréquences et les positions orbitales. Cette façon de procéder pourrait créer un grave précédant pour l'ensemble des membres de l'organisation internationale. Propos recueillis par Jean-Jérôme Bertolus et Thierry Del Jésus


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