Les Echos n° 18.009 du Mercredi 20 octobre 1999,
p. 71
SUPPLÉMENT INDUSTRIE
INTERVIEW
Pascale Sourisse (*) : «Le satellite ne sera pas le
concurrent des réseaux terrestres»
Dans une interview aux « Echos », la
présidente du projet SkyBridge définit
l'objectif de ce système basé sur une
constellation de satellites en orbite basse : offrir de
nouveaux services à de nouveaux clients et se
positionner sur la fonction de raccordement à
l'utilisateur final, un peu comme un « ADSL dans le
ciel ».
PROPOS RECUEILLIS
PAR RÉGIS MARTI
Les récentes
difficultés de certains opérateurs de
systèmes satellitaires n'ont pas été
sans provoquer des inquiétudes de la part des
investisseurs, qui ne font pas toujours la
différence entre les spécificités des
différents projets. Comment SkyBridge a-t-il ressenti
ce problème ?
Il est certain que les difficultés des
systèmes Iridium et ICO ont eu un impact
général sur l'industrie spatiale. Cela
étant, il faut relativiser cet impact, et les
analystes font bien la différence entre les
différents types de programmes. Les
difficultés qui se sont déclarées dans
ce contexte sont des difficultés que les autres
projets ne sont pas nécessairement appelés
à rencontrer, car leurs approches sont
différentes.
Il faut bien voir que les systèmes mobiles, d'une
part, et les systèmes large bande, d'autre part, sont
totalement différents en termes de marché.
Iridium, qui est un projet très sophistiqué,
avec un coût de développement important, a
démarré ses services avec un prix de service
et de terminal très élevé.
Par ailleurs, ce projet s'appuyait certainement moins
solidement sur ses partenaires que d'autres projets comme
Globalstar ou SkyBridge. ICO, qui n'a pas encore
démarré ses services, a, pour sa part, pris de
plein fouet l'impact des difficultés d'Iridium.
Globalstar a, quant à lui, totalement financé
son programme, et se prépare actuellement à
démarrer la mise en service de son
système.
Face à la mise en place de
réseaux terrestres de plus en plus denses et
performants, quel marché les systèmes par
satellites peuvent-ils espérer conquérir ?
L'objectif de SkyBridge n'est pas de devenir un
concurrent des opérateurs existants. Au
contraire, notre stratégie, c'est d'offrir une
solution qui permette de proposer de nouveaux services
à de nouveaux clients, et il est important pour nous
de bâtir en amont des partenariats avec des
opérateurs.
Nous avons annoncé fin juin un accord de principe
avec l'opérateur australien Telstra, et nous sommes
en discussions très actives avec d'autres
opérateurs et ISP qui deviendront à la fois
des investisseurs et des partenaires commerciaux.
SkyBridge ne prévoit pas en effet de fournir des
services en direct aux utilisateurs finaux. Le bon
positionnement du satellite n'est pas de faire concurrence
aux réseaux terrestres longue distance en fibre
optique, mais plutôt de se positionner sur la fonction
de raccordement de l'utilisateur final
Dans les zones denses, il est certain qu'il y aura abondance
de solutions terrestres, mais dans les zones moins denses,
le satellite est plus compétitif que les solutions
terrestres. L'objectif d'un système comme SkyBridge
n'est pas de raccorder un nombre d'utilisateurs voisin de
celui des réseaux terrestres. Nous visons 20
millions d'utilisateurs professionnels et
résidentiels au niveau mondial, et nous
prévoyons de générer un revenu annuel
de plus de 5 milliards de dollars lorsque le système
sera pleinement opérationnel, soit environ cinq ans
après la mise en service. Le seuil de
rentabilité du système, incluant le
remboursement des investissements, sera atteint environ
trois ans après la mise en service.
Où en sont actuellement
l'état de financement du projet et le calendrier de
mise en oeuvre de SkyBridge ?
Le budget définitif du projet, basé sur les
propositions des industriels, est de 4,8 milliards de
dollars. Nous prévoyons, par ailleurs, pour le
déploiement complet des stations au sol et la
fabrication des terminaux, un budget complémentaire
de l'ordre de 1,5 milliard de dollars. Nous avons d'ores et
déjà sécurisé plus de 1 milliard
de dollars, à la fois en fonds propres et en
crédits fournisseurs, mais l'essentiel de cet
investissement, qui sera progressif, interviendra au moment
où nous aurons commencé à
générer des revenus, soit avant même que
la constellation ne soit complètement
déployée. Nous démarrerons en effet la
fourniture du service avec 40 satellites en orbite
dès 2002, ce qui est suffisant pour assurer la
couverture des zones tempérées où se
trouve le marché le plus important. Lorsque, en 2003,
la constellation sera complète, avec 80 satellites,
nous pourrons passer à une couverture mondiale et
augmenter la capacité sur les zones
déjà couvertes.
La concurrence avec les autres
projets multimédias risque d'être rude.
Où se fera la différence ?
Il existe en fait deux catégories de projets
multimédias : les constellations en orbite basse,
comme SkyBridge et Teledesic, et les systèmes
géostationnaires. Nous considérons qu'il y
aura une très forte
complémentarité entre les deux
approches.
Les systèmes en orbite basse sont principalement des
systèmes de télécommunications point
à point, bidirectionnels, très interactifs et
particulièrement bien adaptés à offrir
des services temps réel à haut débit
aux utilisateurs.
SkyBridge est plus proche d'un « ADSL dans le
ciel » que des systèmes
géostationnaires qui partent de leur positionnement
dans le domaine de la diffusion directe de programmes de
télévision, pour ensuite aller vers des
services asymétriques à haut débit vers
les utilisateurs, et des voies de retour à plus bas
débit.
(*) Présidente de SkyBridge.

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