Iridium en situation de faillite : les leçons d'un échec
commercial
L'ambitieux programme de télécommunications par satellites dirigé par
Motorola est en situation de faillite, moins de neuf mois après son
démarrage. Sa survie est aujourd'hui suspendue à un plan de sauvetage.
Mais les leçons de cette expérience ont été assimilées, non seulement
par les promoteurs du système, mais aussi par ses concurrents.
RÉGIS MARTI
La décision d'Iridium LCC de se placer en août dernier sous la
protection du chapitre 11 qui, aux Etats-Unis, régit les sociétés en
faillite, a fait l'effet d'une douche froide, non seulement chez les
autres opérateurs de systèmes concurrents, mais également chez les
industriels et opérateurs impliqués dans les projets de constellations
multimédias.
Véritable pionnier d'une nouvelle ère de l'industrie
des télécoms, le consortium dirigé par le géant américain Motorola a mis
en oeuvre le tout premier système de télécommunications mobiles à
couverture mondiale, qui utilise pas moins de 66 satellites. Compte tenu
du coût élevé du système (5 milliards de dollars) et d'une approche
erronée au plan marketing et commercial, la sanction n'a pas tardé. C'est
en effet moins de neuf mois après son démarrage commercial que le projet
s'est retrouvé en faillite effective. Même s'il reste pleinement
opérationnel au niveau fonctionnel, la survie du système Iridium reste
suspendue à la réussite du plan de sauvetage soumis à la SEC, l'équivalent
de la COB outre-Atlantique.
1,5 milliard de dette
Affichant plus de 1,5 milliard de dollars de dette, Iridium compte sur
le soutien de ses actionnaires actuels ainsi que sur les banques pour
disposer de 800 millions de nouvelles lignes de crédit. Il mise également
sur un nouvel appel au marché, qui pourrait lui rapporter 500 millions
supplémentaires. Mais, même dans l'éventualité où Iridium parviendrait à
un accord avec ses créanciers, la confiance en une réelle viabilité
financière du système reste passablement écornée. Après avoir dépassé les
70 dollars il y a un peu plus d'un an, l'action de la société était passée
sous la barre des 3 dollars juste avant la suspension de sa cotation.
Aujourd'hui, la communauté financière s'interroge à juste titre sur la
manière dont Iridium pourrait faire son come-back après son passage sous
la protection du chapitre 11. Mis à part les problèmes techniques
également rencontrés au début de la vie du système, la principale leçon de
l'échec d'Iridium est que les initiateurs du premier système
radiotéléphonique à couverture mondiale ont multiplié les faux pas et
failli concomitamment sur plusieurs aspects stratégiques
majeurs.
En premier lieu, le positionnement commercial et tarifaire
du service ne lui a pas permis de se poser en complément compétitif des
réseaux mobiles existants, en dépit des efforts menés depuis 1996 par le
PDG d'Iridium, Edward Staiano, ancien patron des activités cellulaires de
Motorola, « démissionné » depuis pour être remplacé par John Richardson,
accompagné d'une équipe de management entièrement remaniée. A près de
3.000 dollars pour le terminal et près de 7 dollars la minute de
communication, le service avait peu de chances, à ses débuts, de toucher
une cible autre qu'une clientèle de « niche ». En dépit de fortes
réductions de prix, Iridium n'est parvenu à enregistrer qu'une dizaine de
milliers d'utilisateurs, cinq mois après le lancement du
service.
Satellites en panne
A ces problèmes, principalement liés à la volonté du patron de l'époque
de lancer l'offre commerciale en dépit d'une préparation insuffisante des
réseaux de distribution et de l'indisponibilité des nouvelles générations
de terminaux, sont venus se greffer des soucis techniques. En particulier
ceux nés de la panne inopinée de deux des satellites de la constellation,
qui ont entraîné un retard supplémentaire de six semaines dans le
lancement du service. L'insuffisance des tests fonctionnels du réseau, le
manque de préparation technique et commerciale des opérateurs et des
fournisseurs de services, et la quasi-inexistence de l'assistance à la
clientèle : autant de handicaps dont l'accumulation augurait mal de la
réussite d'un concept aussi nouveau que la téléphonie à couverture
mondiale.
Les leçons de cet échec ont été aujourd'hui assimilées
par les promoteurs du système, mais les révisions dans la politique
commerciale d'Iridium sont intervenues trop tardivement, alors que la
spirale infernale de la faillite était déjà engagée.
Pour autant,
le concept reste d'actualité mais ce sont sans doute les concurrents
d'Iridium, Globalstar en tête, qui devraient tirer bénéfice de ce
ratage.