Pascale Sourisse (*) : «Le satellite ne sera pas le concurrent des
réseaux terrestres»
Dans une interview aux « Echos », la présidente du projet SkyBridge
définit l'objectif de ce système basé sur une constellation de
satellites en orbite basse : offrir de nouveaux services à de nouveaux
clients et se positionner sur la fonction de raccordement à
l'utilisateur final, un peu comme un « ADSL dans le ciel ».
PROPOS RECUEILLIS PAR RÉGIS MARTI
Les récentes difficultés de certains opérateurs de systèmes
satellitaires n'ont pas été sans provoquer des inquiétudes de la part des
investisseurs, qui ne font pas toujours la différence entre les
spécificités des différents projets. Comment SkyBridge a-t-il ressenti ce
problème ?
Il est certain que les difficultés des systèmes Iridium
et ICO ont eu un impact général sur l'industrie spatiale. Cela étant, il
faut relativiser cet impact, et les analystes font bien la différence
entre les différents types de programmes. Les difficultés qui se sont
déclarées dans ce contexte sont des difficultés que les autres projets ne
sont pas nécessairement appelés à rencontrer, car leurs approches sont
différentes.
Il faut bien voir que les systèmes mobiles, d'une
part, et les systèmes large bande, d'autre part, sont totalement
différents en termes de marché. Iridium, qui est un projet très
sophistiqué, avec un coût de développement important, a démarré ses
services avec un prix de service et de terminal très élevé.
Par
ailleurs, ce projet s'appuyait certainement moins solidement sur ses
partenaires que d'autres projets comme Globalstar ou SkyBridge. ICO, qui
n'a pas encore démarré ses services, a, pour sa part, pris de plein fouet
l'impact des difficultés d'Iridium. Globalstar a, quant à lui, totalement
financé son programme, et se prépare actuellement à démarrer la mise en
service de son système.
Face à la mise en place de réseaux terrestres de plus en plus denses et
performants, quel marché les systèmes par satellites peuvent-ils espérer
conquérir ?
L'objectif de SkyBridge n'est pas de devenir un
concurrent des opérateurs existants. Au contraire, notre stratégie, c'est
d'offrir une solution qui permette de proposer de nouveaux services à de
nouveaux clients, et il est important pour nous de bâtir en amont des
partenariats avec des opérateurs.
Nous avons annoncé fin juin un
accord de principe avec l'opérateur australien Telstra, et nous sommes en
discussions très actives avec d'autres opérateurs et ISP qui deviendront à
la fois des investisseurs et des partenaires commerciaux.
SkyBridge
ne prévoit pas en effet de fournir des services en direct aux utilisateurs
finaux. Le bon positionnement du satellite n'est pas de faire concurrence
aux réseaux terrestres longue distance en fibre optique, mais plutôt de se
positionner sur la fonction de raccordement de l'utilisateur
final.
Dans les zones denses, il est certain qu'il y aura abondance
de solutions terrestres, mais dans les zones moins denses, le satellite
est plus compétitif que les solutions terrestres. L'objectif d'un système
comme SkyBridge n'est pas de raccorder un nombre d'utilisateurs voisin de
celui des réseaux terrestres. Nous visons 20 millions d'utilisateurs
professionnels et résidentiels au niveau mondial, et nous prévoyons de
générer un revenu annuel de plus de 5 milliards de dollars lorsque le
système sera pleinement opérationnel, soit environ cinq ans après la mise
en service. Le seuil de rentabilité du système, incluant le remboursement
des investissements, sera atteint environ trois ans après la mise en
service.
Où en sont actuellement l'état de financement du projet et le
calendrier de mise en oeuvre de SkyBridge ?
Le budget définitif du
projet, basé sur les propositions des industriels, est de 4,8 milliards de
dollars. Nous prévoyons, par ailleurs, pour le déploiement complet des
stations au sol et la fabrication des terminaux, un budget complémentaire
de l'ordre de 1,5 milliard de dollars. Nous avons d'ores et déjà sécurisé
plus de 1 milliard de dollars, à la fois en fonds propres et en crédits
fournisseurs, mais l'essentiel de cet investissement, qui sera progressif,
interviendra au moment où nous aurons commencé à générer des revenus, soit
avant même que la constellation ne soit complètement déployée. Nous
démarrerons en effet la fourniture du service avec 40 satellites en orbite
dès 2002, ce qui est suffisant pour assurer la couverture des zones
tempérées où se trouve le marché le plus important. Lorsque, en 2003, la
constellation sera complète, avec 80 satellites, nous pourrons passer à
une couverture mondiale et augmenter la capacité sur les zones déjà
couvertes.
La concurrence avec les autres projets multimédias risque d'être rude.
Où se fera la différence ?
Il existe en fait deux catégories de
projets multimédias : les constellations en orbite basse, comme SkyBridge
et Teledesic, et les systèmes géostationnaires. Nous considérons qu'il y
aura une très forte complémentarité entre les deux approches.
Les
systèmes en orbite basse sont principalement des systèmes de
télécommunications point à point, bidirectionnels, très interactifs et
particulièrement bien adaptés à offrir des services temps réel à haut
débit aux utilisateurs.
SkyBridge est plus proche d'un « ADSL dans
le ciel » que des systèmes géostationnaires qui partent de leur
positionnement dans le domaine de la diffusion directe de programmes de
télévision, pour ensuite aller vers des services asymétriques à haut débit
vers les utilisateurs, et des voies de retour à plus bas
débit.