Sans avoir attendu de savoir s'il existait réellement un marché pour
les réseaux de télécommunications mobiles par satellites, les opérateurs,
équipementiers et investisseurs se sont lancés tête baissée dans des
projets encore plus ambitieux et à plus long terme : les constellations de
satellites multimédias. Une révolution sans précédent est annoncée, portée
à la fois par la vague d'Internet, la tendance irréversible vers le
nomadisme et la demande de plus en plus pressante de débits toujours plus
élevés.
Les différents projets qui devraient voir le jour dans
moins de trois ans se proposent d'offrir à un marché potentiel estimé à
plusieurs centaines de millions d'utilisateurs à la fois des services de
téléphonie classique et d'échange de données mais aussi et surtout l'accès
aux services multimédias, qu'il s'agisse de « surfer » sur Internet,
d'accéder à des réseaux d'entreprises, de réaliser des visioconférences
depuis les points les plus reculés de la terre, de jouer en réseau ou
encore de visionner des programmes vidéo à la demande.
Une dizaine de projets
A l'aube du prochain millénaire, qui ne pourra que consacrer la
désormais célèbre « convergence » entre l'informatique, les
télécommunications et le multimédia, l'avènement annoncé de ces programmes
ne va cependant pas sans susciter des interrogations portant sur la
réalité du marché visé au vu de l'état actuel et futur des infrastructures
terrestres, de leur viabilité économique et de la pertinence des choix
techniques opérés.
Sur la bonne dizaine de projets de
constellations de satellites de téléphonie mobile annoncée au milieu des
années 90, seuls deux sont aujourd'hui techniquement opérationnels :
Iridium et Globalstar, compte non tenu du système Inmarsat qui vise un
marché bien ciblé et des systèmes fermés réservés à des entreprises ou aux
applications militaires. Iridium, qui fonctionne depuis presque un an, n'a
pas su démontrer sa viabilité commerciale et le consortium dirigé par
Motorola est aujourd'hui sous le régime de la loi américaine de protection
contre les faillites (chapitre 11). Outre les projets abandonnés en cours
de route, la course aux étoiles s'est aussi achevée prématurément pour
ICO, également en faillite avant même d'avoir lancé le premier satellite
de sa constellation. Seul Globalstar (soutenu notamment par Loral,
Qualcomm, Alcatel, France Télécom et Vodaphone AirTouch) est réellement
opérationnel et sa commercialisation effective débutera au début de l'an
prochain en Europe.
Selon les estimations des analystes, le marché
potentiel de ces systèmes de première génération serait de l'ordre d'une
centaine de millions d'abonnés d'ici à 2007. En captant de l'ordre d'un
tiers de ce marché, ils généreraient un chiffre d'affaires de l'ordre de
19 milliards de dollars à la même échéance. Ce qui reste, somme toute,
bien modeste au regard du milliard d'abonnés au téléphone attendu sur la
planète à cette date et aux quelque 1.500 milliards de dollars générés par
la téléphonie fixe et mobile, ainsi que par le trafic de
données.
Les prévisions concernant les constellations multimédias
sont plus difficiles à cerner car elle sont largement conditionnées au
développement futur d'Internet, et surtout à la compétitivité des systèmes
terrestres dits « à large bande » (haut débit). Les spécialistes estiment
cependant que le marché total des services à large bande pourrait
représenter environ 40 milliards de dollars d'ici à huit ans et que les
constellations multimédias pourraient capter jusqu'à 50 % de ce
marché.
En tout état de cause, ces systèmes, tout comme les
constellations de téléphonie satellitaire, se placent en position de
complémentarité par rapport aux réseaux existants ou à venir qui utilisent
différents supports (fibre optique, haut débit sur réseau traditionnel,
boucle locale radio, voire systèmes à satellites géostationnaires) et la
concurrence avec les plates-formes terrestres sera rude, compte tenu du
fait que la part la plus importante du marché, en l'occurrence les
habitants des pays les plus industrialisés, se situe dans des zones
largement desservies par les infrastructures terrestres.
Partenaires puissants
Si ces projets sont soutenus par des partenaires puissants (Alcatel,
Loral, Aerospatiale et Toshiba, notamment pour SkyBridge, d'une part, et
Bill Gates, Craig McCaw, Boeing, Motorola pour Teledesic, d'autre part),
c'est principalement que la majorité des industriels et des opérateurs
croient fermement en la réalité d'un marché pour ce type de services. Au
regard des investissements qui se chiffrent en milliards de dollars, les
perspectives de retombées en termes de chiffre d'affaires sont en effet
particulièrement engageantes. Ainsi, l'Institut de l'audiovisuel et des
télécommunications en Europe (Idate) conclut dans une récente étude
consacrée aux satellites multimédias que le marché potentiel serait de
plus de 9 milliards de dollars dès 2003 et que, à plus long terme (entre
2005 et 2010), le potentiel pourrait être multiplié par un facteur de 2 ou
3 à la faveur du développement de l'offre de services véritablement
interactifs et non plus seulement asymétriques. De quoi conforter les
opérateurs de ces futures constellations qui sauront sans doute tirer les
leçons des échecs de certains de leurs prédécesseurs dans le domaine de la
téléphonie à couverture planétaire.
Mais il ne fait aujourd'hui
plus de doute que cette nouvelle « guerre des étoiles » se jouera bel et
bien sur terre. Plus que les options techniques choisies, ce sont en effet
les approches marketing et commerciales, ainsi que la qualité des
partenariats avec les distributeurs qui conditionneront le succès du
multimédia par satellites.