Euroforum - 10 décembre 1997

Quelle place des systèmes satellitaires

dans la nouvelle société de l'information

Jean-Michel DUNIAU - FCR

 

 

Les systèmes télécom à satellite intéressent le grand public et les mass média par leurs caractéristiques émotionnelles, liées à la conquête spatiale en général, à la concentration temporelle de risques au lancement, aux images guerrières utilisées pour comparer les technologies. Ils semblent par contre relativement moins intéresser les opérateurs, les investisseurs, les entreprises. La brève analyse ci-après propose une appréciation objective de leur place, tout à fait éminente, dans le cadre des NTIC de cette fin de siècle.

Trois grandes spécificités caractérisent à mon sens le satellite. Ce sont des systèmes de communication de faible capacité car ils utilisent la ressource rare du spectre hertzien, même en utilisant les technologies les plus modernes d'utilisation, et même de réutilisation, du spectre. Ce sont en même temps des systèmes à très larges zones de services, puisqu'un satellite géostationnaire couvre le quart du globe, et une constellation de satellite à défilement sa quasi totalité. La première grande spécificité du satellite est d'être rentable, avec un taux de pénétration de l'ordre de un pour mille ! (1 million de clients sur une cible de un milliard). La totalité des technologies terrestres concurrentes, filaires ou hertzienne, nécessitent des taux 100 fois plus importants pour satisfaire les investisseurs. Cette spécificité permet un marketing particulier, visant des niches, des services émergents, etc….

La deuxième grande spécificité du satellite, limitée cependant aux satellites géostationnaires, est son aptitude intrinsèque à la diffusion, en opposition à l'inaptitude de la plupart des câblages filaires terrestres. Illustrée bien sur par sa place éminente pour la diffusion de bouquets numériques de télévision, cette caractéristique essentielle et à prendre en compte dans la mise en place du push, du multicast, sur l'internet et mieux encore au sein des intranet d'entreprise.

Une troisième grande spécificité, assez peu explorée jusqu'ici à mon sens, et la possibilité intrinsèque du satellite à la mise en place de proxy thématiques. Rappelons ici que la limitation à l'accès rapide à de l'information pertinente sur le web provient pour l'essentiel des phénomènes de congestion sur les réseaux dorsaux de l'internet, très similaires aux rentrées dominicales des parisiens. La solution généralement proposée par les systèmes terrestres est de stocker les informations demandées une première fois dans une mémoire de proximité, afin que les demandes ultérieures de la même information puissent être immédiatement servies. Encore faut-il que des personnes géographiquement proches aient les mêmes centres d'intérêt ! Le satellite permet de palier cet inconvénient en introduisant la notion de proxy thématique, correspondant à une communauté d'intérêt, en particulier au niveau d'un intranet d'entreprise.

Le satellite présente donc un certain nombre de spécificités avantageuses. Mais il doit pour tenir une place respecter à mon sens trois grandes contraintes.

La première, parfois jugée triviale, mais qu'il convient cependant de rappeler, est que le système doit techniquement fonctionner ; le système dans son entier, de bout en bout, et pas le seul satellite ! les antennes au sol, les applicatifs. Notons ici que faible taux de latence, similaire au terrestre, et diffusion, nécessitent la mise en place des systèmes hybrides récemment proposés, à base de constellation de satellites à défilement et de systèmes de satellites géostationnaires.

La deuxième contraintes, triviale encore, mais souvent masquée dans le secteur spatial, est la nécessité d'obtenir des ensembles au prix de marché, fixé tant par les capacités financières des acheteurs que par le niveau des offres concurrentes. J'expliciterais ceci en disant qu'un terminal de transmission "NTIC" doit coûter environ 1000$. Toute technologie plus onéreuse est hors marché, et sera reléguée à quelques activités de niche.

La dernière contrainte est une opinion plus personnelle. Le satellites doit, à mon sens, se "contenter" d'être une infrastructure de communication, tuyau et arrosoir, et laisser à d'autres, et aussi au marché, le choix des applications et utilisations qui en seront faites. A chacun son rôle, aux entreprises de génie civil et aux industriels de construire routes et automobiles, aux clients/utilisateurs de décider qu'en faire, du commerce, des loisirs, de la médecine ou du travail, etc…. Rappelons ici qu'un grand nombre de systèmes conçus pour le téléphone, ou bien pour les données, ont été rentabilisés par la télévision ! Et que par contre des systèmes dédiés à une application télévision n'ont pas été rentabilisés !

Une place éminente du satellite, par ses caractéristiques propres, en respectant quelques contraintes, me paraît évidente dans les NTIC. Quelques recommandations me paraissent cependant nécessaires pour conforter cette place.

La première est la mise en place d'organisations adaptées. Ceci est tout à fait lisible dans les accords et partenariats en cours de mise en place. A quelques grands consortiums internationaux horizontaux le soin de mettre en place les équipes de RetD, les financements, les organisations industrielles pour construire et lancer les satellites et pour construire, en masse, les terminaux. A une multitude de Sociétés de Commercialisation et de Service le soin du contact avec les autorités locales, la clientèle finale et d'assurer un packaging local adapté de l'offre.

La seconde est d'organiser la coexistence entre les mondes immatériels et transnationaux de la communication et les mondes matériels et nationaux pré existants. Le satellite est à mon sens, sur ce sujet, tout à fait similaire à l'internet, et l'on sait les difficultés de compréhension puis de réglementation qui s'ensuivent ! Je pense sur ce point que des activités de formation et de lobying fortes sont nécessaires, afin d'éviter des blocages sociétaux préjudiciables à un déploiement rapide du satellite, tant dans les pays en voie de développement que chez nous. Rappelons ici les incidents liés à la mise en place d'antennes dans certaines communes de la région parisienne !

La dernière recommandation s'adresse aux grands acteurs du spatial. Ils sont, c'est normal et c'est indispensable, enthousiastes et fiers. Ils ne doivent cependant pas à mon avis manquer de modestie : le satellite à une place dans la société, tant vers le grand public que vers les entreprises, une place éminente et modeste à la fois. Place politiquement éminente par sa capacité d'assurer des services universels, des services publics à l'échelle du monde. Place qualitativement exemplaire par l'instantanéité spatiale et temporelle de l'ouverture des services. Mais place quantitativement modeste par son incapacité d'assurer des services de base, à de très larges fractions de la population.

Le satellite peut et doit montrer l'exemple partout dans le monde. Aux autres technologies, hertziennes et terrestres, d'être plus compétitives dans les villes ou le long des routes !